L’analyse des romans-mémoires montre que le caractère d’authenticité censé dériver de l’usage de la première personne aboutit en réalité à une narration caractérisée par l’inauthenticité absolue du moi, à un acte autoréférentiel de pur langage. Leur histoire n’a pas encore atteint son terme que les protagonistes manifestent déjà un « désir d’écriture » qui les amènera plus tard à revendiquer à la fois un statut d’auteur pour les narrateurs qu’ils sont devenus et un statut héroïque pour les protagonistes qu’ils furent.

L’écartèlement entre fiction et authenticité qui caractérise le genre du roman-mémoires au XVIIIe siècle est également emblématique de celui qui affecte, à plus grande échelle, la pensée des Lumières dans son ensemble. La souplesse inhérente au roman a constitué ce genre littéraire en lieu d’expérimentation incontournable où s’illustrent et se débattent empiriquement les postulats intellectuels proposés par la pensée des Lumières pour en souligner les manques et en révéler les écueils. Le genre romanesque est ainsi devenu, à l’époque des Lumières, le point de rencontre privilégié du paradoxe de l’énonciation en littérature et de l’incertitude de soi en philosophie.

A partir d’une étude de l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost et de La Vie de Marianne de Marivaux, le propos de cet essai est de repérer et d’analyser les multiples effets de persuasion qu’autorisent les diverses fonctions de la première personne dans la narration.